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Le cabinet du Professeur Freud

D'une poétique à une politique du divan

Sylviane Lecoeuvre

 

Sofamensch et Sofastücke

 

Rarement un artiste du 19ème siècle n’a aussi bien étudié les différentes poses de « ce cas d’exception » constitué par le corps étendu que le Français Paul Gavarni. Dans l’œuvre de ce graphiste et chroniqueur sagace, le sofa prend la signification de l’accessoire bourgeois, sur lequel, les Parisiens de la monarchie de juillet ne connaissent ni les conventions morales, ni les règles de bienséance. On s’y allonge, on s’y retourne, on s’y vautre dans la plus grande oisiveté et corollairement le plus grand ennui, avec des femmes de petite vertu, « Les Lorettes ». Chose extraordinaire, c’est Le dictionnaire allemand des Grimm qui fixe les mots et le vocabulaire qui manquent aux artistes français pour nommer ce qui se passe informellement sur un sofa. Cette vie dépravée, illustrée par les figures de Gavarni, nous la trouvons définie sous le substantif « Lottern ». Intraduisible en français, le terme pourrait néanmoins approcher la signification de « vie de patachon ».

 

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« Lottern = tire sa signification morale d’un état physique, c’est-à-dire d’un style de vie irréfléchi qui se caractérise par la mollesse ».(1)

De la même manière, le « lotterbett » est décrit comme « un lit au rembourrage mou » qui en anticiperait une utilisation dépravée. Une consultation un peu attentive du dictionnaire permet en outre de saisir que le mot « Lungern » pour désigner la mollesse et la paresse signifie également « attendre l’occasion de satisfaire sa lubricité ».

A vrai dire, les personnages de Gavarni en ont déjà beaucoup vu et vécu pour attendre quoique ce soit d’inattendu car ils sont, pour la plupart, des professionnels de l’oisiveté et de l’ennui.

Une autre entrée est réservée à la définition « Sofamensch », mot encore couramment utilisé dans les pays germanophones, qui, sans donner aucune indication univoque de genre, désigne quelqu’un « qui aime beaucoup s’attarder sur un sofa ». Mais c’est peut-être le magnifique mot de « Sofastück », le plus étranger et le plus énigmatique pour un lecteur francophone, qui nous offre les plus belles propositions pour comprendre la complexité de l’aménagement du cabinet de Freud à Vienne, complexité qui perdra d’ailleurs bien de sa puissance dans la nouvelle résidence londonienne.

« Sofastück= tableau qui est accroché ou peut être accroché au mur au dessus d’un divan ».(2)

Toutes ces entrées sont consignées entre 1885 et 1905 par les succésseurs immédiats des frêres Grimm et Freud, qu’il s’y soit reporté où pas, les avait donc à portée de main dans sa bibliothèque.

Il serait bien hasardeux d’affirmer que Freud avait un intérêt particulier pour la littérature libertine et française. Par contre, il possédait les œuvres complètes de l’écrivain allemand Theodor Fontane, représentant du mouvement naturaliste du 19ème siècle, dont le thème de prédilection restera celui de l’adultère et de ces femmes, brisées par une société d’hommes, soumises aux conventions morales dans une Prusse dévergondée par l’argent et une noblesse tombée au rang de la bourgeoisie du « bas de laine ». En outre, Minna, la belle-sœur de Freud, partageait avec Hanns Sachs, une véritable passion pour cet écrivain du Brandebourg, simple préparateur en pharmacie, converti tardivement à la littérature.

 

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Dans le dernier et très célèbre roman de Fontane, Effi Briest, magnifiquement adapté au cinéma par Rainer Werner Fassbinder(3) en 1974, le divan est explicitement affecté aux femmes. Il devient même la plus grande métaphore de la mise en danger de ces héroïnes sujettes aux chutes. Dès les premières pages, Effi, jeune fille de 17ans, exprime à ses deux amies qu’elle « tombe au moins deux ou trois fois par jour ». Ses vêtements sont également décrits comme « chiffonnés et frippés » (zerknittert und zerknautscht).(4)

Après s’être mariée rapidement à un homme plus agé, froid, cupide et quelque peu inquiétant, le baron Instetten, elle se rend à une soirée musicale où la cantatrice Marietta Trippelli, femme aux mœurs légères et caractérisée par « un type nettement viril », s’adresse à Effi, dans les termes suivants, en lui indiquant la place d’un divan :

« Ce divan, dont la naissance remonte au moins à cinquante ans, est construit, pour ce qui est des ressorts, suivant un principe passé de mode, et quiconque se confie à lui sans ériger au préalable une montagne de coussins tombe dans l’insondable. Ou, en tout cas, assez profondément pour exposer ses genoux comme des monuments ».(5)

Dans le texte de Fontane, l’image de l’immersion est omniprésente dans des métaphores envahissantes. Le sofa présente d’ailleurs des particularités analogues au Schloon qui, dans le dialecte local de Poméranie désigne un petit cours d’eau, « parfois complètement à sec en été » lequel se transforme en hiver en Soog, soit en gouffre.

« Le vent fait affluer la mer vers le lit de la rivière, mais de telle manière, qu’il n’est pas possible de le voir. Tout cela se passe sous terre, c’est précisément cela qui est mauvais ; tout le sable de la plage est alors profondément imprégné d’eau. Et quand on veut passer par un endroit de ce genre, on s’enfonce comme dans un marécage ».(6)

Terrible présage, qui annonce l’inéluctabililité de la mort pour Effi et son amant, le major Crampas, lequel est tué en duel sept ans après la « faute originelle ». La rencontre charnelle n’est pas écrite, seulement suggérée. Abandonnée par son mari, ignorée par sa fille et rejetée par ses propres parents, Effi s’étiole et s’éteint dans sa chambre à coucher. Il n’y a pas d’autre sortie possible de cette zone informe, projetée sur le divan, que la mort.

« C’est toujours tellement mou, et on s’y enfonce tellement profondément », précise encore Jenny Treibel, une autre héroïne de Fontane.(7)

Dans la plupart des cas, les lignes douces et imprécises du sofa se heurtent aux angles droits ou aux lignes droites d’un mur, jusqu’à offenser l’œil, nous dit Edgar Allan Poe :
« Il y a quelquefois lieu d’observer un manque d’harmonie dans le caractère des diverses pièces d’ameublement, mais plus généralement dans leurs couleurs ou dans leur mode d’adaptation à leur usage naturel. Très souvent l’œil est offensé par leur arrangement antiartistique. Les lignes droites sont trop visiblement prédominantes, trop continuées sans interruption, ou rompues trop rudement par des angles droits ».(8)

Le mur derrière le divan ou en vis- à- vis reste incontestablement debout, rappelant sans cesse à la conscience le danger d’une immersion dans les abîmes. Son autorité se fait toujours remarquer en empruntant les mêmes voies de la verticalité, comme une frontière absolue où sont communiqués les codes et les conventions auxquels se heurtent les adeptes du sofa. Le choix et l’exposition ostentatoire des tableaux produisent des « Sofastücke » qui ne sont rien d’autre que la matérialisation d’une prise de pouvoir sur des corps en situation d’impuissance. Toute la littérature naturaliste et germanique du 19ème siècle abonde en descriptions précises de ces Sofastücke. Accrochés aux murs, surgissent les portraits d’époux, de pères et d’ancêtres, tous suppléants des conventions sociales les plus strictes. Dans les romans de Fontane, ce sont les portraits iconiques des ancêtres prussiens qui surplombent les sofas, témoignant non seulement de l’autorité de la famille sur les corps mais également de l’ordre national étatique. Ils rappellent au Sofamensch les codes qui enchaînent sa vie privée à la construction d’une nation.

L’immense talent de Fontane consiste à tourner en ridicule ces démonstrations de puissance. Avec une ironie féroce, il présente une galerie de portraits qui ne sont que des copies ou des lithographies de deuxième ou troisième main. Dans son roman Stine, écrit en 1890, la description qu’il donne des trois tableaux constitutifs des Sofastücke chez la veuve Pittelkow est jubilatoire :
« Deux d’entre eux, Chasse aux canards et Chapelle de Tell, n’étaient rien d’autre que de mauvaises lithographies de date récente, tandis que le troisième tableau, accroché entre les deux premiers – un portrait à l’huile immense, qui avait au moins cent ans et s’était fortement assombri au fil du temps - immortalisait un évèque polonais et lithuanien. Sarastro [le comte Halden] jurait d’ailleurs que la veuve Pittelkow descendait directement de sa lignée ».(9)

L’ensemble grotesque de cette peinture de genre exhibe moins une verticale autoritaire qu’une sorte de perpendiculaire douteuse, mais tout autant cynique et redoutable, pour des femmes entraînées vers la chute.
L’ordonnance précise de l’habitat intérieur, telle qu’elle est décrite par Fontane, reconduit le jeu des antagonismes entre le sofa et le Sofastück et les oppositions lexicales. Les héroïnes tombent, chutent ou s’éffondrent dans un environnement qui cherche à tenir debout, à s’ériger ou à surplomber les protagonistes.

Avec ce préalable, bien-sûr, grande est la tentation de jeter un coup sur le divan et les Sofastücke du Professeur Freud dans le cabinet de la Berggasse.....

 

(1)- Pour l’entrée « Lottern », Deutsches Wörterbuch von Jacob und Wilhelm Grimm, Bd. 6. Leipzig: Hirzel 1885, Sp. 1210-1214.

(2)- Pour les entrées « Sofamensch » et « Sofastück », op. cit. , Bd 10, 1. Leipzig: Hirzel 1905, Sp.1400.

(3)- Rainer Werner Fassbinder (1974) : Effi Briest (Fontane – Effi Briest oder: Viele, die eine Ahnung haben von ihren Möglichkeiten und Bedürfnisse und dennoch das herrschende System in ihrem Kopf akzeptieren durch ihre Taten und es somit festigen und durchaus bestâtigen). Effi Briest (Fontane – Effi Briest, ou un grand nombre de gens qui ont une idée de leurs propres possibilités ou besoins et qui pourtant admettent par leurs actes le système dominant dans leur tête et ainsi le renforcent et l’entérinent de bout en bout).

(4)- Theodor Fontane, [1896], Effi Briest, Paris, Gallimard, 1981, p 28-32.

(5)- Theodor Fontane, op. cit. , p 113.

(6)- Theodor Fontane, op. cit. , p 188.

(7)- Theodor Fontane, [1892], Madame Jenny Treibel, Paris, Gallimard, 1941, p30.

(8)- Edgar Allan Poe, [1840], Philosophie de l’ameublement, in Habitations de l’imaginaire, Paris, Allia, 2016, p70.

(9)- eodor Fontane, [1890], Stine, in Ders., Romane und Erzählungen, Bd. 2, hg von Helmuth Nürnberger, München. Hanser, 1985, S.721-722, non traduit en français.

 

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topographie

Le cabinet du Professeur Freud

D'une poétique à une politique du divan

Sylviane Lecoeuvre

 

Le divan comme machine à pensées

 

Sous la pression de sa main sur le front, de nouvelles images et de nouvelles pensées incidentes continuent d’affluer, que Freud met en relation avec les symptômes déclarés. Il abandonne rapidement l’artifice de la Druckmethode mais maintient la position allongée sur le divan, vestige du traitement hypnotique, à la recherche de représentations, qui, selon lui, ne peuvent que rester dans l’ombre dans une position assise et forcément contrôlée.(1) Pour le praticien, l’attention se porte maintenant sur les digressions, les pensées annexes, en apparence insignifiantes, ainsi que sur les associations libres. Le vocabulaire pour représenter le cheminement de la mémoire emprunte des tournures particulières et très imagées ; Ainsi il évoque les affects « coinçés » (eingeklemmt), les impressions « écartées » (weggedrängt) et les pensées  « comprimées » (eingezwängt) que le médecin doit faire surgir.

Aussi confortable que puisse être la posture couchée, les pensées ramenées à la conscience s’avèrent majoritairement désagréables avec leur lot de sensations corporelles déplaisantes. Dans ces conditions, le divan offre plus de similitudes avec la table chirurgicale redoutée qu’avec un sopha douillet dans un coin de salon.

Dans les développements ultérieurs de la théorie et de la pratique psychanalytiques, le divan devient assez rapidement le véhicule d’une communication de soi qui s’oriente sur le modèle du rêve. Parallèlement, il est amené à structurer le rapport entre l’analyste et le patient de manière codée.

La passivité accordée à la position horizontale est caractéristique du rêve. Le rêveur se vit comme le protagoniste d’un événement onirique incontrôlable et comme le jouet d’hallucinations nocturnes. Ces hallucinations constituent pour Freud une courroie de transmission avec l’inconscient, dans la mesure où il localise le rêve dans une zone intermédiaire entre un inconscient absolument inaccessible et la conscience. Autrement dit, la position sur le divan, proche de celle du dormeur déploie des potentialités hallucinatoires et facilite, comme le rêve, la communication avec les parties inconscientes.

Obéir à des contraintes de répétition, se fourvoyer dans des rechutes abruptes, tels sont les signes distinctifs des processus psychiques. Ceux-ci ne composent pas un mouvement dirigé vers un but dans une logique d’évolution linéaire, mais sont soumis à des régressions temporelles et formelles. Le rêveur expérimente sans cesse cette régression formelle lorsqu’il transforme les représentations en images visuelles et se réveille en possession d’un scénario quasi-incompréhensible.

Il existe donc un lien fondamental, calqué sur le modèle du rêve, entre la position du corps et la théorie freudienne des processus psychiques.

Par ailleurs, en tant qu’objet dans un dispositif particulier, le divan participe d’une forme inhabituelle de communication avec un autre. L’agencement divan/fauteuil s’écarte d’une situation de dialogue « normal ». Séparé visuellement de l’analyste, le patient allongé dirige son attention sur ses mouvements émotifs intérieurs, ses pensées et les images qui défilent devant ses yeux, tandis qu’un analyste, devenu invisible, reçoit les pensées, les propos et les expressions, sans s’engager dans une direction précise. Pour illustrer cette situation, Freud propose quelques métaphores, parmi lesquelles celle de la communication téléphonique :

« De même que le patient doit raconter tout ce qui lui passe par l’esprit, en éliminant toute objection logique et affective qui le pousserait à choisir, de même le médecin doit être en mesure d’interpréter tout ce qu’il entend afin d’y découvrir tout ce que l’inconscient dissimule et cela sans substituer aux choix auxquels le patient a renoncé, sa propre censure. En résumé, l’inconscient de l’analyste doit se comporter à l’égard de l’inconscient émergeant du malade comme le récepteur téléphonique à l’égard du volet d’appel. De même que le récepteur retransforme en ondes sonores les vibrations téléphoniques qui émanent des ondes sonores, de même l’inconscient du médecin parvient, à l’aide des dérivés de l’inconscient du malade qui parviennent jusqu’à lui, à reconstituer cet inconscient dont émanent les associations fournies ».(2)

Si le divan conserve encore aujourd’hui une place relativement stable dans la psychanalyse, celle-ci, à côté et après Freud, a expérimenté bien d’autres situations thérapeutiques, notamment avec les enfants et surtout une catégorie de patients perçus, à tort ou à raison, comme plus difficiles. Il ne lui est pas toujours aisé de répliquer aux critiques, qui proviennent souvent de son propre « camp » et qui trouvent à redire au dispositif classique. Un des aspects du débat, parmi tant d’autres, concerne la perte de contrôle qui caractériserait la position dite passive et avant tout les aspects supposés asservissants et disciplinaires attribués à un tel dispositif. Freud, de son côté, ne cèdera jamais sur ce qu’il appelle son «  cérémoniel » imposé  pendant les séances.

« Je tiens à ce que le malade s’étende sur un divan et que le médecin soit assis derrière lui de façon à ne pouvoir être regardé. Cet usage a une signification historique, il représente le vestige de la méthode hypnotique d’où est sortie la psychanalyse [….] En général, l’analysé considère l’obligation d’être allongé comme une dure épreuve [….]. Malgré cela, je maintiens cette mesure qui a pour but […] d’isoler le transfert, de telle sorte qu’on le voit apparaitre à l’état de résistance, à un moment donné ».(3)

Une certaine littérature scientifique nous amènerait à penser que l’affaire devient périlleuse lorsqu’on la confie à la réflexion des seuls psychanalystes, tentés de reconduire toujours les mêmes crispations. Les nombreuses contributions écrites qui se sont attelées à interroger le «setting» classique, à proposer des modifications ou à promouvoir une psychanalyse sans divan, s’avèrent, La plupart du temps, fastidieuses à lire ou décevantes, car abordées dans les coordonnées strictement psychanalytiques, comme si la question devait être réglée en famille. Les sociologues, les anthropologues, les artistes et les écrivains, dans des approches extrêmement fines et informées, se sont emparés indirectement de ces problématiques, proposant une autre topographie, une poétique, voire une politique du corps étendu mais reste à savoir comment les psychanalystes se saisissent de ces ouvertures.

L’obligation d’être étendu, si chère à Freud, sera reprise de belle façon dans la poétique surréaliste avec l’espoir que serait réalisable, dans la position couchée, l’avènement d’une révolution esthétique et politique.

 

(1)- F.K. Walter, Über ein « Schutzbett » für erregte Geisteskranke, in: Psychiatrisch-Neurologische Wochenschrift 29 (1908), S.235.

(2)- F. Freud, [1912], Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique, in De la technique psychanalytique, Paris, Puf, 1953, p 66.

(3)- S. Freud, [1913], Le début du traitement psychanalytique, in De la technique psychanalytique, Paris, Puf, 1953, p 93.

 

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Le cabinet du Professeur Freud

D'une poétique à une politique du divan

Sylviane Lecoeuvre

 

Max Ernst ou la poètique d'un divan surréaliste

 

Inspirés par le divan freudien et la création d’une situation dont on présume qu’elle favorise la régression vers des formations psychiques « originelles », les surréalistes disposent d’expériences «passives » similaires. En travers de leur route, ils trouveront des groupes révolutionnaires, pour lesquels au contraire, seuls les actifs sont les véritables sujets de l’histoire. La mésentente sera totale avec le futurisme italien et son représentant emblématique, Tomasio Marinetti qui s’enflamme pour la vitesse, la performance, la nécessité de la violence et de la guerre afin, écrit-il de « débarrasser l’Italie du culte archéologique ». La guerre comme seule hygiène du monde. Dans ce mouvement futuriste, qui se veut tout autant politique qu’artistique la main de l’artiste est l’instrument le plus apte à transmettre l’élan vital qui nourrit le monde moderne. Au même titre que leurs voisins allemands du Bauhaus, quelques membres, en quantité non négligeable, répondront aux sirènes du fascisme.

L’artiste surréaliste, en revanche, ne travaille que lorsqu’il dort ou plutôt, il dort pour travailler. Robert Desnos en apporte la preuve en 1922, lors d’une mémorable rencontre avec le groupe dans l’atelier de Breton, où s’aidant de quelques expédients au risque d’une désintégration psychique dangereuse, il sombre dans les plaisirs du demi-sommeil et se met à écrire, obéissant à « un diktat magique ».

Max Ernst est certainement l’artiste qui a le plus contribué au programme du surréalisme. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut affirmer qu’il est de ceux qui cherchera, après Goya, Courbet puis Picasso, Duchamp et les dadaïstes, à réorienter l’image pour la faire basculer dans l’horizontalité. Il est en effet communément admis que l’art et plus précisément l’art pictural ou cinématographique exige le maintien vertical du corps, que ce soit dans une position debout ou assise.

Or, Max Ernst tente de démontrer qu’à chaque position du corps correspond une subjectivité artistique spécifique. Contre les évidences, la position la plus passive serait donc en mesure de produire, dans le champ de l’art, des possibilités de subjectivation, à l’encontre des représentations habituelles de la supposée grande activité créatrice du peintre. Encore faut-il trouver une technique picturale compatible avec l’inactivité, qui plus est, une inactivité de la main. Trouver le moyen de désinstrumenter la main, c’est toute la difficulté à laquelle se confronte Ernst avant de mettre au point, en 1925, une nouvelle technique dite du frottage.

Le procédé consiste, penché au dessus d’une table, à glisser, sous une feuille à dessin, différents matériaux de surface plane, comme des planches de bois ou des chutes de cuir, afin de révéler leur texture sur la feuille par un frottage régulier avec une mine particulière. Ces supports fixes mais inégaux, susceptibles d’aspérités, opposent une résistance variable à la main qui se déplace et laissent des traces différentes sur le papier.

A l’opposé du dessin traditionnel, le frottage montre que le dessin n’est pas seulement fabriqué «  sur » mais «  par » un support dur et que ce même support ne participe pas moins à la fabrication de l’image que la craie ou la mine de plomb. Le tableau délogé de son chevalet et de la verticalité n’est plus une fenêtre mais un plan de travail sur lequel toutes sortes d’expériences sont désormais possibles  comme plier, couper, orienter, retourner ou déplacer. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait supposer, les images frottées ne fabriquent pas l’œuvre d’art. Celle-ci est exclusivement le produit de l’imagination qui pénétre les textures pour y découvrir des personnages, des corps et des paysages. Les veinures du bois ou du cuir se transforment en plumage d’oiseau ou en feuillage. Dans cette nouvelle configuration, l’artiste n’est plus un créateur omnipotent mais le Voyant, le « Seher » et en particulier le Voyant fasciné par ce qu’il voit. On pourrait présenter le frottage comme une expérience qui transforme le matériau mort en apparitions, par le fait que ces apparitions sont contemplées tout en fascinant le contemplateur.(1)

 

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Max Ernst, en 1938, pousse encore plus loin la logique dans un autoportrait programmatique où il associe photographie et frottage. Il se laisse photographier, sous la forme d’un plan rapproché du visage, puis remanie le cliché par le frottage, de telle sorte que l’artiste est représenté penché en arrière et semble succomber à un sortilège au spectacle de formes naissantes. En effaçant les frontières entre fiction et réalité, ces expériences, parfois extrêmes dans leur voisinage avec l’éprouvé extatique ou hallucinatoire, ne sont pas toujours sans danger, ce que laissent présumer les regards parfois déments de Max Ernst ou André Breton. Mais, dans la mesure où les surréalistes identifient la censure intrapsychique à la morale dominante, ils peuvent croire que l’agressivité ou le sexe qui émergent parfois dans leurs visions sont des signes qui ne trompent pas, leur indiquant que l’inconscient leur «  parle ».

 

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Dans les débuts du mouvement surréaliste, lorque les poètes et les artistes officiaient encore sous la bannière du dadaïsme, Max Ersnt compose des montages, sous forme de collages et de gravures, qui se réfèrent explicitement à la violence de la première guerre mondiale. Le célèbre photocollage de 1921, Die Anatomie als Braut (L’anatomie comme jeune mariée) dévoile un genre de mannequin mécanomorphe, allongé dans ce qui ressemble à un cercueil.

 

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Le collage, içi, fait l’objet d’une photographie, que Max Ernst signe, nomme et reconnait comme œuvre finale. Le collage n’est donc qu’une maquette initiale. L’hétérogénéïté des éléments collés, de nature et d’échelles différentes, la visibilité des retouches- qui stigmatisent encore le collage- s’effacent dans la photographie finale. Le mannequin étendu et renversé est d’inspiration chiriquienne mais l’ironie de l’image- où se mêlent thématique mécanique, guerrière et érotique et iconographie religieuse classique (perspective tronquée du Christ gisant de Mantegna)- fait de l’oeuvre une pièce exemplaire de l’esprit dada. Un dernier avatar de cette mariée au tombeau se trouve également dans le grand simulacre de la Mariée « d’Etants donnés » de Marcel Duchamp. Quant à l’énigmatique cercueil, il correspond initialement à la photographie d’un cockpit d’avion militaire français, côté pilote. De cette manière, une image inquiétante se transforme en allégorie artistique qui traite de la position horizontale et simultanément du corps féminin.(2)

Les surréalistes n’élaborent pas seulement une Poetik des Liegens dans le projet de déclencher des bouleversements esthétiques et politiques. Ils se consacrent à une thématique beaucoup plus large de l’horizontalité pour « mobiliser les énergies révolutionnaires » qui se sont manifestées dans les époques précédentes. L’histoire n’est plus conçue comme une évolution linéaire mais bien plus comme une stratification des époques qui se combinent entre elles, au point que dans les œuvres d’arts, l’histoire la plus récente semble surgir du plus loin et la plus éloignée surgir de la plus proche. Une façon de penser l’histoire comme une belle endormie qui donne ses rêves à lire.

On voit bien ce que Freud et les psychanalystes auraient pu partager par une fréquentation plus régulière des artistes révolutionnaires. Malgré tous les raccords possibles entre poétique surréaliste et psychanalyse,  Freud est resté totalement sourd à ces mouvements, aussi bien aux sécessionnistes viennois qu’aux dadaïstes européens ou au Bauhaus allemand. Rétroactivement, l’histoire se révèle terriblement cruelle et cynique si on pense que quelques concepteurs du camp d’Auschwitz, comme Fritz Ertl, ne sont autres que des architectes du Bauhaus, férus d’art total et amenés, par un étrange recours à la géométrie euclidienne, à dresser des clôtures et des murs pour l’entreprise la plus funeste : tuer et détruire des corps.

Quelques soient les domaines de recherches, Freud a une culture gigantesque mais classique, notamment en matière strictement littéraire, ce que révèlent les innombrables annotations en bas de page dans ses essais et la recension de sa bibliothèque après sa mort. Comme tous les bourgeois qui ont fréquenté le lycée, il parle un allemand dont le vocabulaire et la syntaxe avaient été fixés à l’époque de Goethe. Parallèlement, le dictionnaire commencé par les frêres Grimm en 1854 et complété, dans la même veine, après la mort de Jacob Grimm en septembre 1863, est pour lui une ressource inestimable, apportant une mémoire aussi bien populaire que savante. Il s’agit non d’un dictionnaire d’usage à portée normative mais d’un dictionnaire qui retrace l’histoire de chaque mot à l’aide de nombreuses citations. On y trouve justement une dizaine d’occurrences ayant trait au sofa, d’un grand secours pour éclairer une compréhension du divan freudien.

 

(1)- Max Ernst et la technique du frottage

(2)- Cf Ludger Derenthal, Dada, die Toten und die Überlebenden des Ersten Weltkriegs, in Zeitenblicke 3 (2004), Nr 1. Lien vers le pdf

 

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Le cabinet du Professeur Freud

D'une poétique à une politique du divan

Sylviane Lecoeuvre

 

Die Couch, une exposition sous haute tension...

Le 05 mai 2006, les visiteurs du musée de la Berggasse à Vienne découvrent une grande exposition dans le cadre du 150ème anniversaire de la naissance de Freud, entièrement construite autour d’une absence : celle du divan avec couverture orientale. Elle est intitulée en allemand Die Couch, Vom Denken Im Liegen. Le français propose  Le divan, La pensée allongée, dans une traduction qui a bien du mal à restituer les abords multiformes de sa conception.

 

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Mais ce qu’ignore la plupart des visiteurs, ce sont les conditions qui encadrent cette exposition. En effet, au musée, l’année 2006 s’avère chargée et mouvementée. C’est maintenant la Sigmund Freud Privatsstiftung, la fondation privée, qui gère les finances du musée et donc toutes les animations. La ville de Vienne vient d’acheter à prix d’or l’ensemble des appartements du 19, Berggasse et d’en faire don à la fondation mais sans lui octroyer les moyens nécessaires à la rénovation.

L’introduction du musée dans le secteur privé est une véritable bombe à retardement et la presse viennoise se fait l’écho de la très mauvaise santé financière du musée, de la gouvernance ultra autoritaire de la directice, Inge Scholz Strasser et de la mise à l’écart systématique des psychanalystes et chercheurs.

Dans la maison Freud, l’ambiance est particulièrement délétère. La défiance des psychanalystes est telle que l’Association Psychanalytique de Vienne menace de quitter les murs pour s’installer dans le centre de la ville. Les désaccords avec le conseil d’administration, constitué d’actionnaires et d’assureurs, sont nombreux et profonds mais lorsqu’il évoque une « réorganistion du personnel » les salariés s’organisent et constituent, en 2006, un comité d’entreprise qui recueille 100% des voix. Lydia Marinelli, qui est alors conservatrice et encore directrice scientifique du musée est élue déléguée du personnel. Le comité d’entreprise adresse un courrier circonstancié à la direction, qui reste inflexible et conclut à « une organisation excellente du Musée Freud ».

Entre Lydia Marinelli et la directrice Scholz Strasser les tensions sont de plus en plus vives.

C’est donc dans ce climat de violence inouë que s’organise l’exposition. Avec le temps, neuf ans après l’effondrement et le suicide de Lydia Marinelli en 2008, il est devenu difficile de restituer le contenu détaillé de cette exposition.

 

abbot miller

 

C’est à Abbott Miller, architecte et designer américain de Baltimore que Marinelli confie la tâche d’aménager les locaux et de penser le divan dans l’espace. Pour la première fois, outre la surface des appartements de Freud, il peut utiliser la surface de l’appartement situé juste au dessus. Les propriétaires précedents, durant les quarante ans passés sur les lieux, n’ont procédé à aucune rénovation. La peinture des murs, d’origine, est jaunâtre. Les taches, les fissures et les trous sont les marques d’une vie quotidienne. Abbott Miller comprend, évidemment, quel bénéfice il peut tirer d’un espace en l’état. Il n’est pas question de « rafraîchir » les murs, bien au contraire, mais de s’appuyer sur la continuité temporelle. Cet appartement génère une impression de la Vienne des années 30, bien plus fortement que le musée, lequel, après de multiples rénovations, n’a plus qu’un rapport lointain avec l’appartement original des Freud. Pour l’architecte, il n’existe pas de dispositif plus incitatif.

 

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Toujours à l’étage supérieur, un revêtement blanc provisoire recouvre le parquet afin de signifier au visiteur que l’appartement fait partie de l’exposition au même titre que les artefacts exposés. Quelques bandes lumineuses sont également posées au sol.

En l’absence du divan, l’exposition repose sur des projections virtuelles, consacrées aux fameux tapis. IL est à noter d’ailleurs que le divan londonien a bien gardé celui qui recouvrait le divan avant 1938-un tapis en provenance de Smyrne (Izmir)- mais qu’il n’a pas conservé, dans la nouvelle demeure, le tapis de sol et encore moins les « sofastücke » de la Berggasse.

 

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Les pièces les plus lumineuses, côté jardin, sont réservées « au monde de la psychothérapie privée » avec d’immenses photos de Shellburne Thurber, lesquelles dévoilent l’aménagement des cabinets américains et argentins contemporains.

Côté cour, dans des pièces sombres, sont présentés des modèles de divans et de sofas du 19ème siècle, quelques peu élimés, issus de la très belle collection appartenant à Sigfried Giedon jusqu’aux représentations de lits-cages conservées dans les archives de Purkersdorf.

Très logiquement, la salle de bain se voit indexée à l’hydrothérapie.

En redescendant dans les appartements de Freud, le visiteur peut voir, entre autres, des ottomans et des pièces fabriquées par Otto Wagner. Mais il tombe également sur des noms célèbres : Max Ernst et le mouvement surréaliste, Félix valloton, Paul Gavarny ou encore Andy Warhol. Son film érotique de 1964, Couch, tourné dans la « factory » y est projeté.

On se demande pourquoi Marinelli retient le mot anglais Couch et non pas Divan(ou Diwan) qui existe en allemand. On peut avancer deux explications. D’une part, lors de leur exil massif aux Etats- Unis après 1933, les psychanalystes ont utilisé le terme anglo saxon Couch, lequel a été réintroduit et définitivement adopté par une partie des pays européens, d’autre part, l’exposition est le produit d’un travail commun entre les Viennois, les Londoniens et des artistes en majorité américains.

L’exposition se termine le 05 novembre 2006 et sera accompagnée d’un très beau catalogue du même nom, dense, véritable mine d’or qui en dit long sur l’énergie mobilisée par la conservatrice et ses collègues pour mener à bien ce projet, en dépit de conditions pour le moins éprouvantes.

 

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Quelques semaines plus tard, les psychanalystes tournent la page de la Berggasse et quittent le 9ème arrondissement de Vienne.

 

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Le cabinet du Professeur Freud

D'une poétique à une politique du divan

Sylviane Lecoeuvre

 

Introduction

 

Au cours du 20ème siècle le divan n’est pas seulement devenu le symbole par excellence de la psychanalyse. Dans l’orthodoxie freudienne, il est un des « marqueurs » qui en légitimerait la pratique. Jamais aucune autre école de pensée, aucune autre discipline que la psychanalyse n’a été aussi fortement identifiée à un objet tous comptes faits banal, soit un simple accessoire d’ameublement. Bien que la théorie et la pratique aient connu de nombreuses évolutions après la mort de Freud, le divan reste encore aujourd’hui une sorte de carte d’identité professionnelle explicite. En raison de son lien avec Freud, il déclenche un florilège d’images dans la culture populaire mais la psychanalyse, de son côté, vit également sur ses qualités iconiques. En d’autres termes, si les psychanalystes ne disposaient pas d’un moyen d’expression aussi simple en apparence, leur discipline ne serait peut-être pas entrée dans la mémoire contemporaine. Cependant, dans la mesure où il représente, pour la plupart des analysants et des praticiens, la griffe, la signature indélébile d’une expérience thérapeutique innovée par Freud, peu de chercheurs se sont aventurés dans une entreprise, nettement moins évidente, qui consiste, d’une part, à mettre cet objet en tant que tel au centre des réflexions et d’autre part, à traçer la généalogie du divan bien avant 1900. Par ailleurs, la remarquable continuité entre l’aménagement intérieur du cabinet d’un médecin au tournant du 20ème siècle et du cabinet actuel d'un psychanalyste ne peut absolument pas être expliquée par un seul «  retour à Freud », nostalgique ou fétichiste.

 

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Dans ces conditions, des questions fondamentales relatives au divan, à la pratique et à la théorie psychanalytiques persistent : pourquoi cet objet, pièce maitresse du salon bourgeois, qui a connu des formes et des appellations variables au fil du temps - Ruhebett ou lit de repos, canapé, daybed, ottoman, sofa, divan ou Couch - fait-il ses preuves comme «levier» thérapeutique ? Corollairement, pourquoi reconnait-on à la position couchée, dite passive, le pouvoir extravagant de produire activement du savoir et des connaissances ?

De façon plus déterminante encore, le basculement des corps dans « l’horizontalité » opéré par la contrainte du divan oblige à reconsidérer sérieusement, aujourd’hui encore, ce qu’il en est, en termes anthropologique et politique des systèmes univoques de quadrillage et de géométrisation autoritaires des corps. Si les mémoires publiées en 1956 par Hilda Doolittle, la très érudite patiente américaine que Freud a reçue dans les années 30, apportent quelques éléments précieux de réponse à ce sujet, le lecteur ne trouve chez Freud aucun développement ou questionnement exogène à la stricte situation transférentielle et psychanalytique.

Dans les années 1900, quiconque met en lien le divan avec l’émergence de la pensée peut s’attendre au scepticisme et à une riposte féroce.  Theodor Adorno, qui flaire dans le divan du psychanalyste la détrônisation pure et simple de la philosophie, n’aura de cesse d’affirmer que les paroles et les pensées dépliées sur le divan de Freud ne se différencient guère des discussions bavardes, des « causeries » dans les salons ou des commérages colportés par des belle-mères aigries et vieillissantes.

Mais justement, ce que fera valoir Lydia Marinelli, dans sa dernière grande exposition de mai 2006, c’est que le divan produit , par sa présence, une série de rapports paradigmatiques entre l’habitat bourgeois, les secrets de famille et les approches du monde psychique.

Sollicité très tardivement par la municipalité de Vienne pour commémorer le 150ème anniversaire de la naissance de Freud, le Musée Sigmund Freud propose, de mai à novembre 2006, une exposition autour de cet objet mythique, intitulée Die Couch, Vom Denken im Liegen. Exposition ambitieuse mais discrète, si on la compare au torrent de festivités qui innondent simultanément la capitale autrichienne, consacrées au 250ème anniversaire de l’enfant chéri, Wolfgang Amadeus Mozart.

 

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Tirée au cordeau, l’exposition ne se donne pas pour objectif de construire ou d’interroger une métapsychologie du dispositif divan/fauteuil dans les débats récurrents avec le dispositif face à face. Il s’agit bien pour Lydia Marinelli, conservatrice au 19, Berggasse, de puiser dans les archives et de renouveler l’historiographie de la psychanalyse en abordant la question du divan dans sa stricte matérialité. Pour relever le gant, elle n’hésitera pas à élargir son spectre de recherche, à imbriquer l’histoire de l’art, la littérature et la philosophie dans une tradition essentiellement germanique. En tant qu’historienne des sciences, elle porte une attention particulière à l’évolution et la migration des différentes techniques thérapeutiques et expérimentales entre les sanatoriums, les hôpitaux psychiatriques et la pratique de cabinet, mises en oeuvre pour traiter les troubles psychiques dans le monde germanophone du 19ème siècle. Parallèlement à ses ambitions scientifiques, l’exposition tente de répondre à une question constante des visiteurs, pas toujours avertis, étonnés, souvent déçus de ne pas trouver à Vienne le fameux divan. Parti à londres après le départ de Freud devant la menace hithlérienne en 1938, il laissera une ombre sur le parquet du cabinet viennois, repérée par Engelman après la guerre, malheureusement totalement « lessivée » lors des travaux de rénovation qui succèdent à l’inauguration du Musée en 1971. Une semaine avant l’ouverture de l’exposition, Lydia Marinelli déclare aux journalistes dans le style qui lui est propre : « les choses qui manquent font davantage réfléchir que celles qui sont présentes ».

 

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