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Conférences de L'Unebévue 2012

 

revues iFreud et ses vieilles divinités dégoûtantes

Lydia Marinelli, 19 Berggasse II

par Sylviane Lecoeuvre

Samedi 21 janvier 2012

à L'Entrepôt 7 à 9 rue de Pressensé 75014 PARIS 


Argument


Printemps 1938 : les troupes hitlériennes, ovationnées par les Autrichiens, envahissent Vienne et livrent la communauté juive à la brutalité de la gestapo et de la population locale. Au 19 Berggasse, la famille Freud, dans une ville hostile, attend les autorisations pour rejoindre Londres. Un peu plus loin, dans la même rue, les SA et les SS viennent de perquisitionner les Editions Psychanalytiques Internationales. Anna a été brièvement arrêtée et Martin, recherché, a quitté précipitamment la ville. Freud est affaibli par son cancer qui continue de ravager sa mâchoire.
Dans cette succession d’événements chaotiques, c’est une lettre bien incongrue que Freud envoie à son fils Ernst le 12 mai 1938. En pleine tourmente, alors que ses proches sont menacés, il évoque longuement l’objet de ses préoccupations : le sauvetage de sa collection d’antiquités : « Si j’arrivais en homme riche, je commencerais une nouvelle collection avec l’aide de ton beau-frère. Mais il faudra me contenter des deux petites pièces que la princesse a emportées lors de sa première visite et des choses qu’elle a achetées à mon intention pendant son dernier séjour à Athènes et qu’elle conserve actuellement à Paris. Que pourrais-je me faire envoyer de ma propre collection ? Voilà qui est bien incertain. A vrai dire, cela me fait penser au sauvetage de la cage du serin lors d’un incendie ». Le 4 juin 1938, Freud quitte définitivement l’Autriche, sans sa collection, confiée à une société d’expédition viennoise et à l’administrateur nazi Anton Sauerwald. Le 3 août, après deux mois d’attente, il confie à son ami Max Eitingon que « ce n’est que lorsque ses antiquités seraient arrivées qu’il se sentirait libéré du joug nazi ». Quelques jours plus tard, la collection est enfin livrée au domicile londonien.
Située au carrefour très fréquenté de la vie privée, de la pratique analytique et des écrits théoriques, la collection d’antiquités de Freud n’a jamais fait l’objet d’une seule publication de son vivant. Après sa mort et jusque dans les annèes 1990, les spécialistes de Freud n’eurent pas grand-chose à lire sur la question, et bien que la plupart des chercheurs ne l’aient ni vue ni étudiée, tous s’accordèrent pour donner un avis unanime sur « la vraie nature » de la collection. Il était évident pour tous qu’elle était avant tout égyptienne, grecque et romaine, issue des fouilles archéologiques. Le catalogage systématique des objets de la collection effectué au 20, Maresfield Gardens en 1986 a révélé bien des surprises, les vrais grains de sable et les fausses perles.
Il faut cependant attendre Lydia Marinelli, conservatrice au Museée Freud de Vienne et directrice scientifique à partir de 1999 pour que des préjugés tenaces et majoritaires soient sérieusement réinterrogés. Lorsqu’elle rencontre le photographe Edmund Engelman en 1995, cela fait déjà trois ans qu’elle travaille au 19 Berggasse. A partir de cette adresse « matériellement évidée », elle parvient en quelques années à transformer une attraction touristique en lieu de recherche reconnu pour la qualité de ses interventions et de ses expositions.
Les musées Freud de Londres et de Vienne qui se partagent l’inventaire freudien entretiennent des relations notoirement conflictuelles mais en 1998 Lydia Marinelli impose une trêve et organise sa première grande exposition intitulée Meine… alten und dreckigen Götter (« mes… vieilles divinités dégoûtantes »). Pour la première fois depuis l’exil de Freud, une partie de la collection d’antiquités revient sur le lieu de ses origines. L’exposition, finement agencée, sera ouverte au public du 26 novembre 1998 au 7 avril 1999 et ne manquera pas de contrevenir aux attentes des « commanditaires » viennois, le tout étant pris dans les questions de direction du musée. L’exposition donne lieu, dans la foulée, à la publication d’un catalogue, du même nom, en collaboration avec les londoniens, et dont Lydia Marinelli écrit le texte d’ouverture, mais en 2000, elle réservera à une revue spécialisée un deuxième texte sur le même sujet, beaucoup plus offensif et chatoyant. Malgré son titre en apparence sobre et peu engageant Dreckige Götter, eine Austellung über Freuds archäologische Sammlung (voir la bibliographie), le propos est en rupture totale avec l’idéal esthétique et muséal convenu. Les brèches inaugurées par Lydia Marinelli laissent une empreinte sensible sur une nouvelle génération de chercheurs enthousiastes, comme Ruben Gallo, jeune universitaire d’origine mexicaine, peu enclin à se contenter de l’iconographie servie au 20 Maresfield Gardens. En s’éloignant des textes canoniques qui font la part belle à la métaphore archéologique, Marinelli met surtout en évidence que Freud se pose comme propriétaire d’une collection qui s’oppose de manière certaine au principe de la muséologie. Japon, Inde, Chine, Nouvelle-Guinée, Amérique latine, tout cela s’entasse, se fait, se défait, 3000 pièces dans les années 1930, 2000 à Londres, des débris partout sur les étagères, les tables, les bureaux, les vitrines, sur le sol, dans les tiroirs… La correspondance de Freud et ses notes per- sonnelles apportent un éclairage inattendu sur ses liens opaques avec les antiquaires, son système particulier de tractation et d’échange, sa manière d’aborder ses collaborateurs « extra européens » – « Se peut-il que le dieu, étant habitué à Calcutta, ne supporte pas le climat de Vienne ? » dit-il d’un Vishnu qui se détériore.
Réfutant les représentations jaunies d’un collectionneur conventionnel et amateur de cigares que Zweig a données de lui, Freud lui répond « que le lascar est tout de même un peu plus compliqué ».

 

Quelques livres

 

Certaines lettres proviennent des correspondances entre Freud et Fliess, Freud et Stefan Zweig, Lou Andreas Salomé, Marie
Bonaparte, Ernst Freud etc…

Chaque fois que cela a été possible, les traductions à partir du texte original ont été vérifiées.

 

Ouvrages en français :
Sigmund Freud, Chronique la plus brève, 1929-1939, annoté et présenté par Michael Molnar, Albin Michel, 1992
Ernest Jones, La vie et l'œuvre de Sigmund Freud, volumes 1,2,3, Puf 1961
La maison de Freud, Berggasse 19 Vienne, Seuil 1979
Ernst Freud, Lucie Freud et Ilse Grubrich-Simitis, Sigmund Freud, lieux, visages, objets, éditions complexes /Gallimard, 2006
Thérèse Réveillé, cinq ou six notes autour du Ring, Superflux,n°4/5, novembre 2011
En allemand :
Lydia Marinelli, Tricks der Evidenz, herausgegeben von Andreas Mayer, Turia+Kant, Wien-Berlin, 2009
Lydia Marinelli, “Meine…alten und dreckigen Götter”, Aus Sigmund Freud Sammlung, Stroemfeld Verlag, Frankfurt am Main, 1998.
Lydia Marinelli, "Drekige Götter.Erwägungen zu einer Austellung über Freuds archäologische Sammlung", in: Roswitha Muttenthaler,
Herbert posch, Eva S- Sturm, Wien: Turia+Kant 2000, S.61-74.
En anglais :
20, Maresfield Gardens, a guide to the Freud Museum, The Freud Museum, London, 1988, édition revue après 2008.
Ruben Gallo, Freud's Mexican Antiquities: psychoanalysis and human sacrifice, October 135, Winter 2011

 

Participation aux frais :

10 euros, (tarif réduit 5 euros).

unebeweb: Freud et ses vieilles divinités dégoûtantes

 

introduction

Les grains de sables et les fuasses perles de la collection

L'inventaire freudien

Freud, le troc et le kilo de ferraille

Vishnu, bouddhas et Kannons

L'origine de la collection

Divinités dégoûtantes et divinités prothétiques

Exposition et polémiques