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WORKSHOP 2019

workshop iUn bourgeonnement d'histoires enchevêtrées

L'efficacité de l'imaginaire selon Haraway, Barad, Tsing...

Samedi 23 mars 2019 de 9H30 à 16H30

au rez-de-chaussée du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris

Visionner le flyer pdf

 

 

Quelques extraits des textes que vous avez reçus par mail en vue de ce workshop

Contre la conception de Newton selon laquelle il y a des forces externes agissant sur la matière inerte, la physique quantique considère la matière comme agentielle. Comme le dit Foucault, par pouvoir, il faut comprendre « la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent et sont constitutifs de leur organisation ».

Michel Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 122.

Lorsque la séparation d’un atome, ou plus précisément celle de son petit noyau (10-15 mètres, soit cent mille fois plus petit que l’atome), détruit les villes et refait le champ géopolitique à l’échelle mondiale, comment une ligne dans le sable entre les niveaux « micro » et « macro » peut continuer à requérir notre assentiment ontologique et exercer son influence sur nos imaginaires politiques ?
Outre l’homologie entre champignons terrestres et atmosphériques, il existe entre eux une étrange topologie matérielle – chacun habitant l’autre. Lorsqu’une bombe nucléaire explose, chaque brin de matière radioactive est un diagramme de diffraction implosé de l’espacetempsmatérialisant, un bourgeonnement d’histoires possibles enchevêtrées.
Selon la théorie quantique des champs, la matière n’est pas éternelle. Naissance et mort ne sont pas seulement le sort inévitable du monde animé ; les êtres soi-disant « inanimés » sont également mortels. Les particules ont des durées de vie limitées, des temps de désintégration.
« Les particules peuvent naître et les particules peuvent mourir », explique un physicien. En fait, « c’est une question de naissance, de vie et de mort qui nécessite le développement d’un
nouveau sujet en physique, celui de la théorie quantique des champs… La théorie quantique des champs est une réponse à la nature éphémère de la vie.
C’est seulement à travers le fonctionnement des appareils de production corporelle que les forces viennent à être distinguées comme sociale, biologique, géologique, politique, etc., selon le cas.

K. Barad, Meeting the Universe Halfway.


La nature est une co-construction entre fiction et fait, humain et non humain, corps et technologie.
De fait, la théorie et la critique du biopolitique harawayennes viennent démultiplier les intuitions et les analyses de Foucault, indéniablement trop monastique Il a simplement omis la production technologique des genres et le panopticon ne permet guère de prendre en compte les biotechnologies de communication comme le fait Haraway.
Lauretis rejoint d’ailleurs très précisément Haraway dans son travail d’élargissement de la notion foucaldienne de technologie et de ses applications puisqu’elle affirme elle aussi en 1987 que le féminisme doit être considéré pour ce qu’il est aussi devenu : une technologie de genre.
Aux singes, aux femmes cyborgs plutôt que déesses new age respirant la bonté et aux cyberchiens et autres compagnons s’ajoutent les trans qui sont à la pointe de la résistance biopolitique et de la réinvention de la nature et des corps, pour qui l’influence d’Haraway a été déterminante.
Si la grande question pour Haraway et les féministes à leurs débuts fut de savoir comment représenter les mal-représentés ou l’irreprésentable (le temps de la sémiotique), une autre interrogation lui a succédé qui est celle du “comment articuler” : les gens ensemble, les minorités ensemble, les parties du corps et autre chose ensemble mais de manière provisionnelle, contingente et mutante. Une autre vision des identités et des mouvements sociaux en quelque sorte, qui délaisse les vieilles recettes du rassemblement unitaire pseudo-égalitaire ou communiel.
Comment diffracter et articuler.

M.H Bourcier. Préface au livre de Donna Haraway,
Des singes, des cyborgs et des femmes . La réinvention de la nature.

 

 Faire importer une situation, passée ou présente, c’est intensifier le sens des possibles qu’elle recèle à travers les luttes et revendications pour une autre manière de la faire exister. C’est pourquoi la pensée spéculative se retrouve si aisément dans les récits et les narrations qui, telle la science-fiction, explore d’autres trajectoires possibles.
Nous pensons en revanche que la pensée critique ne nourrit pas une telle intensification. Elle confère au sens du possible la grandeur quasi-messianique d’une attente qui demande fidélité mais surtout tout se passe comme si nous n'avions plus le choix aujourd’hui qu’entre une montée
en généralité de la notion de possible (appel messianique, construction utopique, volontarisme politique, possibles tout-terrain) lui faisant perdre toute effectivité, et un entreprenariat généralisé des opportunités d’un marché qui ferait le tri entre les gagnants et les perdants.

Debaise, Stengers : L’insistance des possibles, pour un pragmatisme spéculatif, 2017


La subjectivité de pouvoir ne tombe pas du ciel; il n’est pas inscrit dans les chromosomes que les divisions du savoir et du travail doivent nécessairement aboutir aux atroces ségrégations que connaît aujourd’hui l’humanité. Les figures inconscientes du pouvoir et du savoir ne sont pas des universaux. La subjectivité demeure aujourd’hui massivement contrôlée par des dispositifs de pouvoir et de savoir qui mettent les innovations techniques, scientifiques et artistiques au service des figures les plus rétrogrades de la socialité. Et pourtant, d’autres modalités de production subjective – celles-là processuelles et singularisantes – sont concevables.[...] Elles existent déjà aujourd’hui un peu partout.

Guattari. Cartographies analytiques 1989


La question d'introduire un discours scientifique concernant le savoir c'est de l'interroger là où il est, ce savoir, et ce savoir « là où il est » ceci veut dire l'inconscient en tant que c'est dans le gîte de lalangue que ce savoir repose. Je fais remarquer que l'inconscient, je n'y entre, pas plus que Newton, sans hypothèse. L'hypothèse que l'individu qui en est affecté, de l'inconscient, c'est le même qui fait ce que j'appelle le sujet d'un signifiant. Ce que j'énonce sous cette formule minimale : qu'un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant. Je réduis, autrement dit, l'hypothèse selon la formule même qui la substantifie, à ceci : que l'hypothèse est nécessaire au fonctionnement de lalangue. Dire qu'il y a un sujet ce n'est rien d'autre que dire qu'il y a hypothèse.
La seule preuve que nous en ayons est ceci : que le sujet se confonde avec cette hypothèse, et que ce soit l'individu, l'individu parlant qui le supporte, c'est que le signifiant devienne signe. Le signifiant en lui-même n'est rien d'autre de définissable qu'une différence, une différence avec un autre signifiant. C'est l'introduction comme telle de la différence dans le champ qui permet d'extraire de lalangue ce qu'il en est du signifiant. Mais à partir de là, et parce qu'il y a l'inconscient, à savoir lalangue en tant que c'est de cohabitation avec elle que se définit un être appelé l'être parlant, que le signifiant peut être appelé à faire signe, et entendez ce signe comme vous l'enten… comme il vous plaira : soit le mot signe, soit le t.h.i.n.g, de l'anglais thing, à savoir la chose.
Le signifiant, si d'un sujet en tant que signifiant il fait le support formel, il atteint quelque chose d'autre en tant qu'il l'affecte. Un autre, un autre que ce qu'il est tout crûment lui comme signifiant, un autre fait sujet ou du moins passe pour l'être. C'est en cela qu'il est, et seulement pour l'être parlant, qu'il se trouve être comme étant, c'est à dire quelque chose dont l'être est toujours ailleurs, comme le montre le prédicat. Le sujet n'est jamais que ponctuel et évanouissant, il n'est sujet que par un signifiant et pour un autre signifiant.C'est ici que nous devons revenir à ceci qu'après tout, par un choix dont on ne sait pas ce qui l'a guidé, Aristote a pris le parti de ne donner pas d'autre définition de l'individu que le corps. Le corps en tant qu'organisme, en tant que ce qui se maintient comme Un, et non pas en tant que ce qui se reproduit. Il est frappant de voir qu'entre l'idée platonicienne et la définition aristotélicienne de l'individu comme fondant l'être, la différence est proprement celle autour de quoi nous sommes encore, c'est à savoir la question qui se pose au biologiste, à savoir comment un corps se reproduit. Car c'est bien là ce dont il s'agit dans toute tentative de chimie dite moléculaire, c'est à savoir comment il se fait qu'en combinant un certain nombre de choses dans un bain unique, quelque chose va se précipiter qui fera qu'une bactérie par exemple se reproduira comme telle.

Lacan, Encore, 26 juin 1973 (dernière séance)

 

Informations Pratiques

Le Matin

Présentation du workshop par Mayette Viltard, et dans la deuxième partie de la matinée, nous projetterons le film Story telling for earth survival de Fabrizio Terranova.

L’après-midi

Le débat se développera sur la base des textes envoyés par mail avec ce flyer et sur le film.

Textes envoyés par mail :

- Préface de Marie-Hélène Bourcier au livre de Donna Haraway, Des singes, des cyborgs et des femmes,la réinvention de la nature, traduit de l'anglais par Oristelle Bonis. ed. Jacqueline Chambon, Rayon Philo, 2009
- Karen Barad “La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant Multitudes 2016/4 n° 65
- Donna Haraway : « Avec le terme chthulucène, je voulais que l’oreille entende le son des terrestres » Interview par Catherine Vincent Le Monde, 31 janvier 2019
- Donna Haraway, “Message d’une fille de rédacteur sportif : les espèces compagnes”, traduit par Denis Petit L’unebévue N°28 2011.
- Donna Haraway, “Genre” pour un dictionnaire marxiste : la politique sexuelle d’un mot, traduit, par Denis Petit, avec la collaboration d’Anne- Marie Vindras, L’unebévue N°22, 2004.
- Denis Petit, Body Meccano d’un traducteur, L’unebévue N°22, 2004.
- Donna Haraway, “Savoirs situés”, traduction Denis Petit, in Manifeste cyborg et autres essais, ed Exils.
- Ursula Kroeber Le Guin, Théorie de la fiction-sac à provisions, traduction de Jérémie Bonheure

Des livres

- Didier Debaise, Isabelle Stengers : Gestes spéculatifs, Les presses du réel, 2015.
- Sam Bourcier, Homo Inc.orporated, Le Triangle et la Licorne qui pète, Paris, éd.Cambourakis, sept. 2017.
- Donna Haraway, Staying with the Trouble : Making Kin in the chthulucene, Duke University Press, 2016.
- Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde. sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, La découverte, les empêcheurs de penser en rond.

Nous nous efforçons corps et âme de penser les connexions
entre des êtres situés dans des milieux naturels ou sociaux
différents. Mais jamais il n’est question pour autant de
penser l’identité entre ces êtres !
De façon régulière et soutenue, moi et d’autres alliés
intellectuels, nous sommes clairement engagés non pas dans
des thématiques comme « le même et l’autre », « l’humain et
le non-humain », « l’un et le multiple » – ces ribambelles
de couples binaires –, mais, bien au contraire, dans des
manières de situer autrement la différence.
Donna Haraway

 

Participation aux frais : 10€ le matin et 10€ l’après-midi